Ressources du Congo

RDC: L'OIF et la France prises au piège de la Françafrique? (1/2)

20 Août 2012 , Rédigé par Anicet Mobe Publié dans #Carte blanche à

 

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S'appuyant sur des argumentaires solidement articulés et fondés sur le respect des droits de l'homme, de nombreuses voix -congolaises et étrangères- exigent la délocalisation du prochain sommet de la Francophonie. Le gouvernement socialiste paraît embarrassé comme si la diplomatie de l'OIF (Organisation internationale de la francophonie) serait tributaire de la politique africaine de la France, toujours engluée dans la mélasse de la Françafrique? 


Le récent voyage à Kinshasa de Yamina Benguigui, ministre française chargée de la francophonie n'a guère dissipé les malentendus ni clarifié les véritables enjeux que soulèvent les oppositions qu'expriment de nombreux Congolais à la tenue du sommet dans leur pays.  

 

La francophonie: atout et/ou miroir aux alouettes pour le Congo et l'Afrique ?


"Francophonie, démocratie et développement: coresponsabilité ou miroir aux alouettes?" Ainsi s'intitule l'étude d'un universitaire congolais, Bertin Makolo Muswaswa. Qualifier la francophonie de miroir aux alouettes ne me paraît pas excessif: la Belgique, le Canada, la France et le Luxembourg appartiennent à des pôles économiques, certes, rivaux mais régis par le capitalisme néolibéral où les intérêts vitaux des états africains francophones ne sont pris en compte que pour amplifier et fructifier les échanges inégaux entre les centres et les périphéries surexploitées. 


Le parcours chaotique ayant conduit à l'échec du sommet Europe-Afrique au Portugal en décembre 2007 continue d'alimenter bien d'inquiétudes en Afrique. Particulièrement dans les régions meurtries par toutes sortes des violences: criminalité économique; violences sociales; arbitraire des bandes armées souvent soutenues par des armées régulières et violations systématiques des droits de l'homme; déni de démocratie lors des consultations électorales et asservissement du judiciaire. Tel est le cas de la République démocratique du Congo. 


Depuis le cuisant échec de Lisbonne, ni la Belgique ni la France qui ont à tour de rôle assuré la présidence de l'Union européenne n'ont pris des initiatives pour renforcer les relations entre l'UE et les pays du Groupe ACP. Pourtant, le substrat culturel de l'espace francophone pourrait utilement servir de fondement pour construire l'espace public européen où les états francophones de l'Union européenne et les pays francophones ACP pourraient conjuguer leurs initiatives diplomatiques afin de promouvoir le multilatéral, en l'occurrence le communautaire francophone. 


Un succès diplomatique du Congo fournirait aux Congolais des outils pour s'employer à desserrer l'étau dans lequel le général Kagamé enserre l'échiquier politique. Il convient donc de dépasser les contingences de l'événementiel pollué par de vaines controverses sur le report du sommet de Kinshasa pour s'interroger sur l'essentiel : l'avenir de la Francophonie se joue certainement à l'occasion du sommet - délocalisé? - de Kinshasa où se rend la ministre française déléguée à la francophonie. 

 

Un succès diplomatique du Congo- différent d'une perfide manœuvre d'adoubement de Joseph Kabila pour valider un scrutin émaillé des fraudes et cautionner les assassinats des journalistes et des défenseurs des droits de l'homme- fournirait aux Congolais -politiquement avisés et soucieux de restaurer l'indépendance de leur patrie et l'intégrité territoriale de leur pays- des outils pour s'employer à desserrer l'étau dans lequel le général Kagamé enserre l'échiquier politique congolais.

 

 

En revanche, délocaliser le sommet sans une alternative crédible et sans tracer des perspectives répondant aux interrogations et contestations fort légitimes de la jeunesse congolaise discréditerait fortement l'OIF. De ce fiasco, le Rwanda sortira victorieux et continuera à soutenir en toute impunité les rébellions qui exterminent les populations congolaises et pillent sans vergogne les ressources économiques. Le champ politique congolais restera vassalisé et manipulé, car les principaux acteurs politiques et militaires sont redevables du Rwanda dont les interventions militaires ont assuré leur promotion. 


Il n'est pas trop tard de faire prévaloir l'audace, la clairvoyance et le respect de la dignité des peuples africains dans la conception et la mise en œuvre des politiques diplomatiques au sein de l'OIF et du nouveau gouvernement français.  


Rappelons qu'en 1960-1961, la crise congolaise a failli engloutir l'Onu dont le secrétaire-général, Dag Hammarskjöld, est mort dans un mystérieux accident d'avion, le 17 septembre 1961. Rappelons aussi que la crise congolaise a fait basculer l'Afrique dans la tourmente de la guerre froide avec des clivages fortement marqués: " groupe de Casablanca " progressiste et " groupe de Moronvia " modéré. Ces clivages ont fragilisé dès sa création en 1963 l'OUA qui a été ébranlée après l'intervention militaire belgo- américaine au Congo en novembre 1964. 


Si le français a été d'abord pour les Africains la langue de l'oppression coloniale ce n'est plus seulement le cas. C'est en assumant avec lucidité leur appartenance à la francophonie que les Africains -particulièrement les Congolais- en feront un atout pour consolider les positions diplomatiques de leurs Etats afin de mieux défendre leurs intérêts vitaux dans les instances internationales. 


L'Afrique est partie prenante active et dynamique de la francophonie institutionnelle, dès le départ le 20 mars 1970 à Niamey, au Niger lors de la création de l'Agence de coopération culturelle et technique. L'ACCT a été une étape décisive dans l'évolution institutionnelle ayant conduit à la création en 1997 à Hanoï, de l'Agence intergouvernementale de la francophonie. 


Si le français a été d'abord pour les Africains la langue de l'oppression coloniale ce n'est plus seulement le cas. Au fil du temps, nous nous sommes appropriés cet instrument culturel. Nous en avons fait un outil d'expression et d'affirmation de nos identités culturelles et un vecteur de nos créations littéraires. 


Le concours littéraire organisé lors de la visite du Président sénégalais Léopold Sédar Senghor à Kinshasa en janvier 1969, a révélé à quel point le Congo recèle d'immenses ressources littéraires. Depuis trente cinq ans, de concours littéraires et colloques internationaux en publication d'anthologies et autres ouvrages de critiques littéraires, les œuvres des Congolais prouvent que ce pays est un prodigieux gisement culturel qui irrigue d'une riche sève fertilisante les œuvres littéraires congolaises de langue française. 

 

Alors qu'une effroyable tragédie endeuille le Congo avec son cortège des malheurs; la créativité culturelle des Congolais demeure pourtant vivace. L'extrême pauvreté économique des Congolais ne rabougrit nullement leur merveilleux jardin musical et cinématographique. Celui-ci continue d'exhaler une esthétique sans cesse raffinée... 

 

Aussi, la francophonie est appelée à renforcer sa coopération intellectuelle et culturelle avec le Congo - et l'Afrique en général - pour que les Congolais disposent des infrastructures requises afin de produire et d'affiner des outils conceptuels permettant d'appréhender l'intelligence de cette expression culturelle et d'en expliciter les logiques sous-jacentes. Ce travail d'explication pourrait créer les conditions d'une plus grande lucidité des pratiques culturelles et de leurs rapports fertilisants avec des politiques de coopération soucieuses d'un réel développement de l'Afrique.

 

Lire la suite: L'OIF et la France prises au piège de la Françafrique (2/2).

 

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1. Bertin Muswaswa Makolo, (1993), Congo-Afrique n°274, pp. 211-223.

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