Responsable mais pas coupable! (2/2)
Désirs individuels contre intérêts collectifs
La première question est celle de la soumission des désirs individuels à l’universalité de la loi. En RDC, l’intérêt personnel a pris une dimension telle que le bien commun n’a plus aucun sens. C’est l’universalité qui est, selon Hegel, le fondateur de la responsabilité. Quand le pouvoir s’enferme dans un contexte familial, patriarcal, tribal, il ne peut aucunement engendrer un Etat moderne.
Au contraire, il multiplie les vassaux qui ne sont responsables que devant le féodal et non devant la nation puisqu’elle n’existe pas selon eux. La question qui se pose aux congolais aujourd’hui est celle de savoir comment passer de ce pouvoir patriarcal qui ne satisfait que les besoins de la cour et des courtisans pour entrer dans un cadre universel qui tienne comptent des aspirations de tout un peuple. Galvauder à ce point la responsabilité conduit à détruire le sens du bien commun, de la chose commune.
Quel est le moteur du lien social en RDC ?
Il semble que le moteur du lien social soit celui du « paraître » à tout prix au détriment de la réalité sociale du « bon sens. » La morale chez nous est devenue tout simplement utilitaire. On vient pour voir pour ensuite espérer avoir et éventuellement en profiter. On ne vient pas pour comprendre pour ensuite bâtir quelque chose. Rien n’est fait et, tout est fait pour que rien ne soit fait convenablement. Jusqu’à quand tiendrons-nous ainsi ?
Nous avons à ce point banalisé l’inconduite que la frontière entre l’interdit et l’acceptable n’existe plus. L’irresponsabilité des politiques est de notoriété publique. Les dernières élections législatives les démontrent si bien. Il y a eu près de 19000 candidats pour 500 sièges, soit un ratio d’un siège pour 38 candidats.
On pourrait croire qu’il s’agit là d’une démocratie dynamique. Loin de là. La vérité est que faire de la politique en RDC est le seul moyen d’enrichissement rapide au détriment, bien entendu, de la collectivité. Si vous croisez un parlementaire congolais, demandez-lui de vous montrer sa dernière déclaration d’impôts. Nous parions qu’il ne saura même pas de quoi vous parler. La banalisation de l’inconduite est souvent l’indicateur de l’existence d’un système totalitaire, gangréné par des ramifications mafieuses très puissantes. La stratégie consiste à désorganiser pour bien se servir. On garde un semblant d’institutions mais en réalité, la RDC aujourd’hui est un non-Etat.
Pour les affairistes, notamment occidentaux et plus récemment asiatiques, ce qui importe c’est d’arriver à tirer profit de ce désordre permanent. C’est d’ailleurs l’un des objets des guerres de basse intensité : nuire sans détruire pour gagner sans compensation. Plus longtemps cela dure, plus l’on s’enrichit. Après tout, diront-ils, « si les autochtones bradent leur pays à quoi bon s’en préoccuper ? »
Le lien social n’existe plus car la chose commune est morte. Tout peuple a besoin d’un lien social pour maintenir le vivre ensemble, cela passe essentiellement par la justice dans tout ce qui est entrepris. Hélas! Ils jouent tous à merveille leur rôle du « Prince » de Machiavel. Mais ils ont oublié très vite que le désespoir engendre la haine et que celle-ci est le terreau des explosions futures beaucoup plus graves, et elles sont en gestation.
Crise ou absence de responsabilité
Depuis bien longtemps, le Congo est mis à l’épreuve dans son existence même: épreuve de la colonisation, épreuve de la dictature, épreuve des guerres intestines, épreuve de la privatisation de l’Etat. Face à cette situation, d’autres peuples dans l’histoire ont su trouver des ressources pour résister. Il n’y a pas de honte à se servir de leur exemple. Mais pour y arriver, il leur a fallu des leaders politiques d’une autre envergure. Conduire un peuple vers une meilleure destinée suppose des responsables politiques qui sont prêts au sacrifice. Un coup d’œil furtif sur la scène politique congolaise suffit à nous renseigner sur l’incurie de la plupart de tous ces autoproclamés.
Il n’y a pas de crise de responsabilité en RDC, il y a absence de responsabilité politique. Disposer des textes institutionnels savamment rédigés ne règle pas le problème de l’inculture politique. Le comportement de bon nombre de responsables politiques congolais tant de l’opposition que du pouvoir en place nous renseigne suffisamment sur le rapport que l’homo politicus congolais entretien avec les institutions.
Dans un pays normal, les hommes passent mais les institutions demeurent pour garantir la pérennité de l’Etat et maintenir le lien social. Dans un pays organisé, les responsables politiques savent à quel point l’éducation et l’instruction de la jeunesse doivent être une priorité. Dans un pays anormal tout changement de chef met fin aux institutions, tout parti politique est créé à l’image de son chef, il est fait à sa ressemblance.
C’est cela la méconnaissance de la responsabilité politique, celle qui fait qu’un pays doit nous survivre, qu’un parti doit être au-dessus et au-delà de notre personne, qu’une administration doit servir le peuple et que le mode de recrutement des fonctionnaires se doit d’être équitable. C’est comme ça que les citoyens d’un pays font leur histoire ensemble, avec la joie de faire partie d’une communauté parce que convaincus au plus profond de leur conscience qu’ils ont l’essentiel en commun. Oui, la responsabilité politique devrait nous conduire, après tant d’épreuves, à mettre de côté nos égos, à nous asseoir sur nos suffisances pour sauver le Congo.
Les exemples abondent dans l’histoire : l’occupation allemande avait transcendé les résistants français, la super puissance américaine n’avait pas entamé la détermination des Viêt-Cong, l’occupation japonaise n’avait pas altéré la combativité des nationalistes chinois. Au contraire! Tous ces peuples et bien d’autres dans le monde ont su trouver, face à l’adversité, des ressources insoupçonnées pour résister et vaincre.
Faire l’union pour reconquérir leur territoire, n’a pas été chose facile, mais leur sens de responsabilité les avait conduits à faire l’essentiel ensemble. Bon nombre d’entre eux n’ont pas vu la libération et la victoire, mais l’histoire aujourd’hui leur donne raison et leur pays ne les a pas oubliés. C’est seulement comme cela que certains peuples et certaines nations ont pu et su traverser le temps.
Nous devons être intraitables, incorruptibles et visionnaires pour faire émerger un autre Congo, mais nous gagnerons aussi à être humbles, modestes. La force humble, le savoir sage, la richesse juste, la connaissance inspirée, tel est profil des grands. Patrice Lumumba reste une référence parce qu’il a osé imaginer et rêver ce qui semble inaccessible au commun des mortels. Pour sortir le Congo de cette impasse, nous devons commencer par l’aimer d’une manière irraisonnable, mais de cet amour qui n’est pas du tout aveugle, parce que nous avons besoin de lucidité et de clairvoyance pour bien faire. C’est encore possible, avant que demain ne soit vraiment trop tard.
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