Le Vol vers la qualité (2/4)
Par Pr Désiré Mandilou, Economiste
Le cours forcé de la monnaie nationale sur le territoire national, ne fait que retranscrire en droit, une réalité économique simple, mais fondamentale. A savoir que le pouvoir d’achat de toute monnaie est strictement limité par la production à laquelle elle donne naissance1.
En effet, dans l’économie moderne, aucune entreprise ne rémunère ses salariés par distribution de son propre produit, ni par distribution d’un droit sur ce produit particulier. Le citoyen qui travaille dans une coopérative maraîchère n’est pas payé en légumes. De même celui qui travaille dans une usine de téléphones portables ne ramène pas chez lui, en fin de mois, un bon d’achat de téléphones portables. Dans l’économie moderne, chaque entreprise rémunère ses salariés par la distribution d’un droit monétaire à une fraction du produit de l’ensemble des entreprises. Droit monétaire que l’on appelle salaire.
Par cette opération de distribution d’unités monétaires en contrepartie d’une activité productrice, la monnaie créée par les banques, simple papier ou simple écriture bancaire, devient un véritable revenu monétaire. La subordination du salaire à la création préalable d’un produit, confère à la monnaie nominale créée par les banques, le statut de revenu monétaire, de pouvoir d’achat ou droit de prélèvement sur la richesse produite.
Le pouvoir d’achat apparaît ainsi dans l’économie, en même temps que l’objet sur lequel il s’exerce : le produit réel. Si aucun travailleur congolais, ne fabrique des biens et services rémunérés en dollars américains, l’utilisation de dollars américains dans l’économie congolaise génère des droits de prélèvements surnuméraires.
En clair, la quantité de biens et services à laquelle accède chaque travailleur payé en francs congolais est amputée par le droit de prélèvement exercé par le dollar américain sur le même produit réel. La décision de certains citoyens congolais de « voler vers la qualité » (fligt to quality), vers le dollar américain, aura pour unique résultat de baisser le revenu réel de tous. On appelle en effet revenu réel, l’assortiment de biens et services à laquelle chaque unité de monnaie nationale donne droit.
En République Démocratique du Congo, (RDC dans la suite du texte), le vol vers la qualité (vers le dollar américain) a plongé la population dans l’extrême pauvreté.A la fin des années quatre vingt, la planche à billet s’est emballée. Les prix ont flambé. L’hyperinflation a conduit les commerçants à rejeter une monnaie nationale dont la valeur se dépréciait, non pas chaque jour, mais à chaque heure. En 1992, Etienne Tshisékédi, alors premier ministre dénie à la Banque Centrale le droit de mettre en circulation une nouvelle coupure de 5 millions de zaïres.
Qu’importe, le président Mobutu démet Monsieur Tshisékédi et nomme un nouveau premier ministre, M. Birindwa. Avec celui-ci apparaît le nouveau zaïre (NZ), d’une valeur de 3 millions d’anciens zaïres (AZ). Il faut alors 3NZ pour avoir un dollar. Le rejet du NZ sera néanmoins instantané. Les marchands de la capitale, refusent de livrer leurs marchandises contre les NZ. Les soldats payés en NZ, vont se retrouver avec une solde sans droit de prélèvement. D’où les pillages de 1993, l’accès au produit réel par la force. Ce qui est une régression, un retour aux âges farouches (préhistoire) où la répartition du produit se faisait à coups de massue.
Mais l’histoire ne s’achève pas là. Le Yacht de M. Mobutu sur le fleuve Congo devint alors « une banque centrale flottante ». Les billets de NZ y étaient directement livrés par les imprimeurs. En 1993, l’inflation avait atteint 9600%. M. Kengo wa Dondo, troisième premier ministre réussira à ramener ce taux à 400% en 1995. Comme ses prédécesseurs, il voudra néanmoins mettre en circulation des coupures à plus grande valeur faciale.
Pour les populations, le signal était clair. On s’installait durablement dans l’hyperinflation. Mobilisés par l’opposition, les populations de la capitale rejetèrent unanimement ces « zaïres prostates », appellation qui faisait référence à la maladie du chef de l’Etat.
Lire la suite: Le Vol vers la qualité (3/4).
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