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Le domaine de définition...des mots

15 Janvier 2013 , Rédigé par Abraham Itimbiri-Aketi Publié dans #Carte blanche à

Les mots, c’est vrai, ont un sens. Mais quelquefois, dans le langage courant, ils finissent par prendre le sens que nous voulons bien leur donner.

 

1. L'histoire d'un indigène

 

Elle se passe au début des années soixante, alors que plusieurs pays africains viennent d’obtenir leur indépendance (sic). Cela se passe en Belgique et il s’agit de deux prêtres catholiques, le premier est belge et le second est congolais. Nous sommes en automne et il fait déjà froid. Les deux coreligionnaires se promènent dans la campagne.

 

Dans les prés, il y a des gens qui sont à la tâche, travaillant dans leurs champs. Cette scène laisse admiratif le prêtre congolais, qui se tourne alors vers son compagnon et lui dit : « ces indigènes sont très dynamiques. Pour faire ce travail par ce temps, il faut être fort ». Le prêtre belge se tourne vers lui et répond : « vous avez raison, ils sont vraiment dynamiques. Mais, ici, ce sont des paysans, les indigènes, c’est au Congo. »

 

Que dire alors de l'histoire des indochinois en France. On n’en parle jamais et pourtant, le fameux riz de Camargue est le fruit de leur labeur. Alors que ces personnes travaillaient en France métropolitaine, elles étaient tout simplement qualifiées de « main-d’œuvre indigène » (à l'époque c'était probablement synonyme de « main-d’œuvre immigrée) pendant que les autochtones qui sont des vrais indigènes de métropole au sens du dictionnaire, étaient eux « des ouvriers. »

 

Et que nous dit alors le dictionnaire à propos d'indigène ? Ce mot signifie « originaire du pays. » Oui mais de quel pays ?) De celui d'où l'on vient et dont on est natif ou de celui où l'on se trouve ? Ce mot vient du latin « indigena » c'est-à-dire originaire du pays ou né dans le pays.

 

C'est cela le domaine de définition des mots. Elle peut aisément se comprendre par  cette citation de Jean de La Fontaine dans les animaux malades de la peste: « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir. »

 

2. De quelle tribu es-tu?

 

Personne n'ignore que les tribus c'est pour les africains et les indiens. Pour les occidentaux, les tribus n'existeraient pas, ce sont des communautés. Et que nous le fameux dictionnaire qui n'est pourtant pas une œuvre afro-indienne ?

 

Communauté : groupe constituant une société ou état de ce qui est commun à plusieurs personnes.

Tribu : groupe humain vivant sous l'autorité d'un même chef. Division du peuple chez les anciens.

 

Il y a 70 millions des Congolais, et on y parle que des tribus. En Belgique, au plus fort de la guerre froide entre flamands et wallons, personne n'aurait osé parler de conflit tribal. C'était un conflit communautaire.

 

Si nous prenons toute la RDC, le Congo Brazzaville, l'Angola et le Centrafrique, même une partie du Gabon, le total des personnes qui parlent le lingala avoisinerait les 60 à 70 millions de locuteurs. Combien de locuteurs pour le néerlandais? 17 millions au Pays-Bas et 7 millions en Flandres. Le néerlandais est une langue et le lingala ne le serait pas ? Qui décident de ça ? Ce sont les mêmes qui s'affranchissent de l'indigénat pour qualifier les autres d'indigènes. Parce que c'était les statuts administratifs donnés aux colonisés et il devait leur coller à la peau comme un numéro invisible n'exprimant rien d'autre que le mépris.

 

3. L'allure du sauvage

 

Nous connaissons tous la coiffure ô combien majestueuse arborée par les Iroquois, les Sioux et les autres tribus indiennes. C'est bien entendu, la coiffure des sauvages que l'on dépeignait souvent comme des personnages agressifs. La même coiffure arborée un siècle plus tard en Amérique et en Europe, ne l'était plus par des sauvages. C'étaient des ...punks. Tout est fait dans le langage pour se démarquer des indigènes, quand bien même on viendrait à les singer.

 

4. La nudité du sauvage

 

Ah ces indigènes sans vêtements, rien d'autres que des peuples barbares qu'il faut à tout prix civiliser. On en fait, des documentaires sur eux, sans prendre la peine de flouter leur nudité. Allez dans des plages privées en Europe, en Amérique, ces personnes nues qui sont, semble-t-il, des nudistes ou des naturistes, c'est selon. Elles seraient très civilisées parce que en harmonie avec la nature. A la télé, bien sûr que leur opprobre est floutée, surtout la nudité de leurs progénitures est respectée, protégée.

 

Trouver des mots pour distinguer les peuples par une sorte de hiérarchie eugénique est devenu presque une science sociale :

 

   - les émigrés viennent du sud, les expatriés partent du nord,

   - les travailleurs immigrés d'une part et les consultants de l'autre,

   - les insurgés pour les uns et les résistants pour les autres....

 

La place nous manquerait s'il fallait lister tous ces exemples où les mots perdent leur sens originel pour emprunter le sens que lui donne le dominant provisoire. Oui, l'histoire nous enseigne que toute domination a une fin et avec elle, le discours tendancieux et le langage péjoratif. « Vae victis » disaient les Romains. Malheur aux vaincus ! Mais pour combien de temps encore ?

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