Le Congo, la Belgique et la Grande guerre 1914-1918* (1/2)
Anicet MOBE
Chercheur en Sciences Sociales,
Membre du Collectif des intellectuels congolais « DEFIS ».
Alors que les citoyens congolais-particulièrement les arrières- arrières petits-enfants des anciens combattants congolais espèrent- vainement ?- que leurs ancêtres seront honorés, le gouvernement belge préfère inviter le Chef de l’état Joseph Kabila. Dont acte. Nous attendons que les autorités belges clarifient le sens historique, la portée diplomatique et politique de cette invitation adressée à un Chef d’état fortement fragilisé sur le plan interne et extérieur par une crise aigüe de légitimité. Celle-ci se trouve fortement amplifiée par une « gouvernance » gangrenée par une corruption endémique et une déréliction sécuritaire terrifiante. Rappelons qu’il y a 100 ans, les soldats congolais écrasaient les armées allemandes stationnées au Ruanda, Urundi (intégrés dans le domaine colonial belge) le Tanganyka, le Sud-Ouest Africain, le Kamerun…
En 2010; le Musée de l’armée et de l’histoire militaire de Bruxelles(Cinquantenaire) a brisé un assourdissant silence qui durant des décennies a ignoré la vaillance des soldats congolais lors des commémorations des victoires des Alliés de deux guerres mondiales. Il faut s’employer pour que le Musée et le Craoca (cercle royal des anciens officiers des campagnes d’Afrique) fassent encore mieux à l’occasion de la commémoration du centenaire de la grande guerre.
Sous la direction de Philippe Jacqui, Pierre Lierneux et Natasja Peeters, -commissaires de l’événement - le Musée organisa du 22 juin au 31 octobre 2010 une exposition intitulée « Lisolo na Bisu 1885-1960 Notre histoire. Le soldat congolais de la Force Publique. » De cette exposition est sorti un remarquable ouvrage éponyme auquel a contribué le professeur Pamphile Mantuba-Ngoma de l’université de Kinshasa « La vie de camp militaire au sein de la Force Publique. pp.121-163, (1888-1960).
La Libre Belgique du 17 juin 2010 « La Force Publique, une saga belge et- surtout- congolaise », TV5 Monde (continent noir), Afrique-TV rédaction : Roger Bongos, en partenariat avec l’association des travailleurs congolais de France et le collectif des intellectuels congolais « DEFIS » et l’Année Francophone Internationale (édition 2011-2012, pp.61-64) ont assuré une large couverture de cette exposition qui a magnifié la vaillance militaire des soldats congolais.
Par ailleurs, à l’initiative de l’union royale des fraternelles coloniales (Urfracol), trois anciens combattants congolais de la deuxième guerre mondiale ont été chaleureusement accueillis en Belgique en 2005. Il s’agit, en l’occurrence de Victor Elenga, Hubert Otenga et de Jérôme Sindano. Le 19 juillet, ils ont visité le Musée royal de l’armée, particulièrement les vitrines consacrées aux victorieuses campagnes de la Force Publique durant les deux guerres mondiales. Le 21 juillet, le Roi Albert II a décoré Victor Elenga et Jérôme Sindano.
Une délégation de l’Urfracol séjourna au Congo où le 1° décembre 2005,les autorités congolaises et belges ont inauguré un Mémorial pour les anciens combattants au rond-point de la rue Force Publique située dans la commune Kasa-Vubu (Dendale). Lors de cette cérémonie, l’ancien combattant Otenga qui a servi en Birmanie en 1940-1945, a été décoré. Faisaient partie de la délégation de l’Ufracol : Réné Pétré, Luc Renson, Pedro Michel, Jean Cremer et Armand Vander Auwera.
Aussi convient-il de dépasser l’événementiel et le conjoncturel pour appréhender correctement l’essentiel et le structurel qui, en l’occurrence, se déclinent en plusieurs problématiques fondamentales dont trois retiennent notre attention : l’écriture et l’enseignement de l’histoire (militaire) belgo-congolaise; les suites politiques et géopolitiques de la grande guerre pour les Congolais, la Belgique et le Congo–belge; la question de l’armée dans ses dimensions militaires, politiques et diplomatiques au Congo.
Questions d’histoire…
Dans les manuels d’histoire ainsi que dans les ouvrages édités par les services d’information des armées coloniales, la bravoure militaire des Africains n’est évoquée qu’à travers les qualités des officiers européens. Les soldats africains n’apparaissent guère comme des acteurs de leurs exploits militaires.
A titre indicatif, mentionnons trois publications illustrant l’embargo sur la bravoure militaire des Congolais :La Belgique et la première guerre mondiale de Sophie De Schaepadrijer ,Archives et Musée de la Littérature de la Belgique 2005,ne mentionne guère les multiples apports du Congo à la victoire militaire et à la consolidation diplomatique de la Belgique en 1918.
L’Encyclopédie de la Grande Guerre 1914-1918 de Stephane Rouzeau et J-. Jacques Becker, Bayard Paris-2004, attribue aux Anglais et aux Français la conquête de la colonie allemande, Kamerun (p.1288) sans mentionner les sanglantes batailles que les militaires congolais y ont livrées et vaillamment remportées. Les soldats congolais sont qualifiés d’une « importante troupe noire dénommée Force Publique, au service de la Belgique.» L’ouvrage de Luc De Vos : La Belgique et la seconde guerremondiale, Racine Bruxelles -2004, réduit en quelques lignes (p.228) le gigantesque effort de guerre économique, financier et militaire que fournit le Congo belge en 1940-1945.
Dégagé du corset culturel colonial et néocolonialiste, l’ouvrage du professeur belge Guy Vanthemsche - la Belgique et le Congo, Complexe, Bruxelles 2007 - nous apprend que derrière les images d’Epinal des récits épiques « se cachent de nombreux aspects moins connus : les énormes pertes en vies humaines pour les populations autochtones, mises à rudes épreuves par les incessantes et dures réquisitions en matière de portage ; les problèmes de désorganisation des forces armées ; les faiblesses en matière de conduite des opérations militaires et surtout les nombreuses frictions avec l’allié britannique » (p.118).
Questions (géo)politiques…
En cette année du centenaire, il n’est pas superflu de revenir sur les efforts de guerre qu’ont consentis les populations de cet immense domaine colonial qu’enviaient à la Belgique, d’autres puissances coloniales. Propriété privée (1885-1908) de Léopold II, roi des Belges, le Congo devient colonie belge en 1908. Les grands groupes financiers ont compris que le Congo est une entreprise fort rentable : « dans les relations financières entre la Belgique et le Congo, la Belgique a donné environ 40 millions et reçu plus de 60 millions. Un jeune Etat d’outre-mer qui, durant le premier quart de siècle de son existence, rapporte ainsi à sa métropole virtuelle un nombre respectable de millions, est bien un cas d’exception.1»
Après la guerre, Panda Farnana – ancien combattant et diplômé de l’Ecole d’agriculture d’état de Vilvorde (Bruxelles) et de l’Ecole supérieure d’agriculture tropicale à Nogent-sur-Marne (Paris)- adressa une requête aux autorités militaires belges, notamment le Général-major Molitor, ancien commandant supérieur des troupes coloniales ; le colonel Muller , président du cercle des anciens officiers des campagnes d’Afrique et le major Verloot, ancien officier de la Force Publique, pour que soit glorifié le soldat inconnu congolais, lors de la commémoration de la victoire de Tabora, le 11 novembre (Armistice).
Par ailleurs, Panda exigea aussi que soit constitué un capital au profit des invalides, veuves et orphelins congolais des fronts de Tabora et du Cameroun. L’érection, le 1er juillet 1927, à Léopoldville d’un monument du souvenir congolais concrétise une des revendications de Panda.
Lors du Congrès colonial national à Bruxelles (18-20 novembre 1920)1, Paul Panda Farnana, exigea la formation de médecins congolais, leur admission aux grades supérieurs de l’administration, la suppression du travail forcé, la participation des Congolais à la gestion des affaires publiques et leur élection au suffrage universel pour siéger au Conseil général de la législation qu’il fallait créer au Congo.
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