La Belgique en quête désespérée du graal perdu au Congo (2/2)
Congo... miroir des Belges1
Congo, miroir des Belges! C'est en ces termes que Jean-Claude Willame et Hervé Cnudde introduisent l'excellent dossier de la Revue Nouvelle de janvier-février 2005 consacré à la colonisation belge afin de répondre aux controverses qu'a suscitées le téléfilm britannique sur le Roi Léopold II: " Le roi blanc, le caoutchouc rouge, la mort noire" de Peter Bate.
Oui! Congo, miroir des Belges. Resplendissant miroir reflétant les contradictions structurant la société belge mais que la "colonie modèle" -ciment idéologique et facteur d'unité- a quelque peu masquées. En 1960, l'effondrement de ce ciment idéologique a laissé éclater les contradictions qui minent la classe politique, myope face à la décolonisation. Discrédité à l'intérieur, isolé diplomatiquement, le gouvernement belge tenta de redorer son blason en mobilisant les Belges à travers des représentations géopolitiques de leur pays.
En 1960 et 1964, les représentations géopolitiques remplirent plusieurs fonctions : le gouvernement belge voulut, grâce aux interventions militaires, notamment au Katanga et à Stanleyville (Kisangani) contre les "rebellions" au cœur du continent africain, (re)conquérir une place de premier plan dans le concert des nations. La Belgique put ainsi traiter sur un pied d'égalité avec d'autres puissances occidentales dont elle prétendait assurer la défense face aux supposées visées expansionnistes soviétiques, notamment en protégeant l'accès aux ressources stratégiques au Katanga.
En 1999, la nomination de Louis Michel au poste des Affaires étrangères constitue, à coup sûr, un fait politique majeur tant sur le plan belge qu'international. Depuis 1944, ce poste a été quasi exclusivement réservé aux socialistes (Spaak, Claes, Simonet, Derycke, Vandebroucke) et sociaux-chrétiens (Wigny, Harmel, Nothomb, Van Eslande, Mark Eyskens, Tindemans).
Depuis quinze ans, la prégnance des clivages communautaires a complètement bouleversé l'ordre institutionnel en Belgique au point que le pays vient de sortir d'une crise politique de plus d'un an. Par ailleurs, la mondialisation néo-libérale brouille tous les repères idéologiques et accentue le déclin économique de la Wallonie -avec des dégâts sociaux considérables- alors que prospère, la Flandre, dit-on, lorgne vers l'Afrique du Sud.
Économiquement florissante et culturellement proche de la Flandre, l'Afrique du sud dispose d'atouts diplomatiques et militaires que n'a pas le Congo et qui font d'elle une interlocutrice appréciée du FMI et d'une Amérique plus que jamais impériale. Une restauration de la cotutelle belgo-américaine, sous la férule d'une Flandre à dominante politique libérale et atlantiste, permettrait aux secteurs économiques flamands et leurs partenaires de s'affirmer au sein de l'Union européenne pour imposer les revendications flamandes d'autonomie, voire d'indépendance. Il n'est donc pas étonnant que les politiques francophones s'emploient à retrouver les vestiges de la colonie- modèle qui fit la grandeur de la Belgique pour enrayer cette perspective cauchemardesque.
Affirmer que la Belgique est en quête du Graal perdu n'est pas un cliché. Cela renvoie, au contraire, à des réalités ayant une historicité établie. Relisons attentivement deux éminentes personnalités belges: en 1908, lorsque le roi Léopold II est contraint de " céder " l'état indépendant du Congo à la Belgique, " le Congo offre le spectacle unique -au début du 20° siècle- d'un pays d'outre-mer pauvre dont une partie des ressources va être mise à la disposition d'un pays riche européen"2. "Ainsi l'investissement devient synonyme d'envahissement; et la colonie, éternelle tributaire, voit s'écouler vers l'extérieur le flot de sa richesse »3.
Congo...Graal des Belges, mythe désuet? Non, répond monsieur Denuit, auteur d'un ouvrage au titre évocateur" Congo, champion de la Belgique, en guerre" Fr. Belle, Bruxelles, 1946. Congo...Graal des Belges, pur fantasme ? " Que Dieu protège la Belgique et notre Congo " c'est en ces termes que le roi Léopold III conclut son discours d'abdication, le 17 juillet 1951.
Notre Congo... la plus étincelante pierre précieuse sertie dans la couronne belge comme semble l'indiquer un dossier que le quotidien bruxellois Le Soir (23-24 février 2008) consacre à La Donation Royale :la colossale fortune que Léopold II a amassée au Congo est un des éléments constitutifs essentiels de cette Donation estimée à plus de 450 millions d'euros. Ainsi s'explique l'acharnement désespéré du monde politique francophone de récupérer ce joyau afin de renforcer ses positions face à la Flandre.
Conjuguer optimisme de la volonté et scepticisme de l'intelligence-critique...
Le tableau dépeint ci-haut paraît si sombre qu'il serait tenté de croire que tout est irrémédiablement perdu. Les apparences peuvent être trompeuses et n'offrent qu'une vision tronquée des réalités congolaises. Le Congo n'est pas voué à être éternellement l'otage des analphabètes politiques tirant leur légitimité des appuis extérieurs. Ce pays reste un gisement inépuisable de richesses humaines, de ressources culturelles, de compétences scientifiques et d'excellences intellectuelles qu'il faut s'employer à transformer en atouts.
Le moment paraît donc propice pour conjuguer les initiatives des parlementaires belges et congolais soucieux de libérer les relations belgo- congolaises de pesanteurs (néo) coloniales; la vigilance citoyenne de nos sociétés civiles ainsi que les expertises scientifiques des universitaires belges et congolais pétris d'éthique intellectuelle clairvoyante afin de rationaliser les politiques de coopération pour qu'elles satisfassent les légitimes aspirations des populations congolaises.
Le poids écrasant des ingérences étrangères dans les affaires congolaises devrait désormais inciter les esprits les plus avisés des diasporas congolaises à élaborer des stratégies conséquentes pour se constituer en puissants groupes de pressions capables d'initier et de mener un travail méthodique de "lobbying "afin de libérer le politique au Congo, notamment l'accession au pouvoir et son exercice de logiques perverses du parrainage. Le succès de ce travail passe par des choix clairs, courageux, lucides et reposant -intellectuellement- sur des argumentaires solidement articulés.
La confiscation du politique au Congo est largement favorisée par l'inculture intellectuelle des universitaires-minoritaires mais actifs et sans scrupules- asservis au pouvoir et l'analphabétisme politique d'une majorité des personnalités politiques illettrées de l'histoire du pays.
1. Article initialement publié sur Express Yourself et repris ici avec l’aimable autorisation de l’auteur.
2. J. Stengers, (professeur à l'Université Libre de Bruxelles) Congo Mythes et réalités, Duculot, Belgique 2007, p. 110.
3. P. Ryckmans (Gouverneur-Général du Congo -Belge 1934- 1946) Étapes et Jalons, Larcier, Bruxelles 1946, p. 211.
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