La Belgique en quête désespérée du graal perdu au Congo (1/2)
En adoubant, par sa visite au Congo, Joseph Kabila dont l'élection est entachée de suspicions de fraudes massives avérées, le ministre des affaires étrangères, Didier Reynders perpétue le pacte néocolonial belge1.
" Derrière le Prince se pressent hommes liges et conseillers, flatteurs et profiteurs, qu'il s'agisse d'individus, de groupes d'intérêt, ou de nations. Seul sans doute à ne pas être impliqué est le peuple zaïrois (congolais) qui subit à la fois le poids des mécanismes socio-économiques et l'arbitraire du pouvoir des autres2.
Pouvait-on imaginer meilleur symbole des entourloupes de la diplomatie belge? Le ministre des affaires étrangères, Didier Reynders, s'est rendu au mois de mars au Congo adouber Joseph Kabila dont l'élection est entachée de suspicions de fraudes massives avérées au moment où triomphe au Sénégal l'expression électorale populaire. La virulence des querelles entre La Cour suprême de justice et la Commission électorale indépendante indique l'ampleur des fraudes. Les élites intellectuelles et politiques congolaises sont au pied du mur: jusque à quand resteront-elles indifférentes à la désespérance de leur peuple, laquelle se nourrit aussi de la pusillanimité des universitaires ayant, politiquement, fait l'option du mandarinat ?
Rappelons qu'en 1965, la République démocratique du Congo était quasiment le seul pays africain où se sont tenues dans une totale transparence des élections législatives et provinciales démocratiques, concurrentielles et pluralistes sans le moindre financement international. Le coup d'état militaire perpétré le 24 novembre, avec le soutien des États-Unis d'Amérique et favorablement accueilli par la Belgique, avait empêché la tenue de l'élection présidentielle prévue au mois de février 1966. Le Sénégal, à l'instar d'autres pays africains, connaissait déjà un régime de monopartisme de facto.
De nombreuses pétitions signées par des Congolais vivant tant au Congo qu'à l'étranger dénoncent avec véhémence ce voyage qui provoque, par ailleurs, de controverses au sein de la classe politique belge, sur fond de querelles communautaires.
Les Congolais devraient se garder des imprécations vociférées avec outrance sur le registre de l'émotionnel et de l'irrationnel. Un tel registre apporte, immanquablement, une caution politique aux byzantines querelles belgo -belges faites de conflits d'intérêts économiques; de rivalités entre personnalités au sein d'un même parti et de sordides marchandages pour fructifier de rentes de situation ainsi que pour se ménager des plans de carrière, grâce aux dividendes soutirées par la manipulation du champ politique congolais.
Car en réalité, Didier Reynders poursuit l'œuvre qu'avait initiée son collègue Louis Michel - libéral francophone - en 1999: recycler dans un contexte géopolitique post-guerre froide, le paradigme de la politique congolaise de la Belgique mis au point - gravé en Tables de Loi du Royaume - par Paul-Henri Spaak, artisan en 1961 du rebond diplomatique belge au Congo, après le " tsunami " que fut la calamiteuse décolonisation du Congo suite à la myopie de la politique belge.
Pacte néo-colonial
Marquée du sceau de l'esbroufe, l'escapade de Didier Reynders au Congo tend à réactualiser l' essentiel et la portée d'un paradigme fondé sur le Pacte néo-colonial qu'Américains et Belges ont imposé à la classe politique congolaise dès septembre 1960 pour confisquer l'indépendance du Congo: 5 septembre, le Premier Ministre Lumumba, disposant pourtant d'une large majorité parlementaire, est brutalement démis par le Chef de l'État, monsieur Joseph Kasa-Vubu; le 14 septembre, le colonel Mobutu, Chef d'état-major de l'armée fait un coup d'état.
C'est ainsi que se trouve consolidée la sécession de la riche province du Katanga, suscitée et puissamment soutenue par la Belgique politique et les grands groupes industriels de la Société générale de Belgique. C'est alors que le pays sera divisé en trois pouvoirs de fait : le gouvernement du Katanga que présidait Moïse Tshombe, soutenu par la Belgique; le gouvernement de Gizenga à Stanleyville (Kisangani) qui se considérait comme le seul légitime et le gouvernement de Joseph Iléo à Léopoldville (Kinshasa) qui n'a pas osé se présenter devant le parlement. Ce gouvernement était en concurrence avec le "Collège de commissaires généraux", mis en place après le coup d'état du colonel Mobutu.
Fortement ébranlée sur le plan international par la crise congolaise, discréditée sur le plan interne, la classe politique belge brandit l'épouvantail communiste et une hypothétique agression soviétique contre le Congo. La Belgique obtint alors l'appui diplomatique américain pour contrer les visées - avérées - du coq gaulois et de la perfide Albion sur les richesses congolaises.
C'est alors que Paul Spaak - secrétaire- général de l'Otan depuis 1958 - fut appelé à la rescousse. S'entourant de brillants technocrates - Vicomte Davignon, Rothschild, Van den Boch) il élabora une politique étrangère reposant sur un paradigme dont l'essentiel se déclinait en quelques points saillants :
- instauration d'une co-tutelle belgo-américaine pour contrôler le champ politique congolais afin de régenter la constitution de l'échiquier politique. C'est ainsi que depuis 1961, cette cotutelle permet d'éviter que l'expression électorale des Congolais désigne des personnalités indociles aux diktats belgo -américains. Le leadership politique congolais n'est légitime pour les Belges que s'il a reçu l'onction belgo- américaine. Rappelons ici les étranges déclarations de l'ancien ministre des affaires étrangères, Karl De Gucht- pourtant très critique vis à vis de Kabila- qui se prévalait d'un prétendu droit moral qu'aurait la Belgique à l'égard du Congo.
L'exaspération des Congolais outrés par l'insolence du pouvoir a fortement inquiété les milieux d'affaires et la classe politique belges. Le ministre Reynders s'est alors précipité au Congo pour désamorcer cette bombe et imposer à Kabila "un arrangement". Disposant d'informations crédibles provenant de rapports de la Conférence épiscopale congolaise, de l'Union européenne et de la Fondation Carter, la Belgique est cependant prête à passer par pertes et profits le discrédit résultant des fraudes pour autant qu'elle y trouve son compte face aux appétits des Chinois et de la perfide Albion. C'est ainsi que se trouve reconduit et consolidé le Pacte néo-colonial de 1960: tel est le sens profond des acrobaties diplomatiques du ministre Reynders.
Il n'en est pas à son premier voyage " électoraliste " au Congo. Il s'y était rendu en juin 2006, accompagné d'un autre ministre libéral francophone -Armand De Decker- soutenir ostentatoirement Joseph Kabila, lors de la précédente élection. Armand De Decker offrit, à cette occasion, de somptueux cadeaux d'anniversaire à Joseph Kabila. Au même moment, Louis Michel enjoignait les Congolais de voter favorablement pour Kabila.
- une diplomatie servante des intérêts économiques, commerciaux et industriels belges,
- une coopération militaire garante de l'ordre politique et outil d'intégration du Congo dans le bloc géopolitique occidental,
- une attention particulière accordée aux signaux émis par le Palais Royal.
Certes, les ministres Pierre Harmel, Henri Simonet ont apporté quelques nuances, mais ils ont respecté ce paradigme que Louis Michel a recyclé au profit des intérêts économiques liés à la famille politique des Libéraux. Didier Reynders s'emploie donc à restaurer ce recyclage que De Gucht semblait récuser faisant ainsi du Congo, le miroir des contradictions belgo-belges. Curieusement, c'est au terme du voyage de monsieur Reynders qu'un Premier Ministre a été désigné et aussitôt plébiscité par de bruyantes clameurs des chancelleries occidentales.
Certes, le promu est brillant universitaire mais politiquement il répond au profil préétabli par les parrains occidentaux: il est acquis aux dogmes des institutions financières internationales et son gouvernement saura garantir les intérêts économiques et géopolitiques des Occidentaux, particulièrement ceux des Belges.
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1. Article initialement publié sur Express Yourself et repris ici avec l’aimable autorisation de l’auteur
2. J. Vanderlinden, Du Congo au Zaïre, Essai de bilan, CRISP, Bruxelles, 1980, p.
404.
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