Responsable mais pas coupable ! (1/2)
En pleine crise du sang contaminé en France, sous le gouvernement de Laurent Fabius (1984-1986), alors premier ministre, c’est le propos tenu par la ministre en charge de la santé publique: « Je suis responsable mais pas coupable.» Formule très ambigüe quand on sait combien ce terme peut désigner à la fois le moral et le juridique.
La responsabilité, c’est vrai, a pris, au fil du temps, plutôt le sens de la sanction, se détachant sémantiquement de celui de la charge, c’est-à-dire, de la mission qui incombe à une personne. Nous vivons une époque où la conception de la responsabilité est devenue très dissuasive. Regardons simplement autour de nous, il y a toute une kyrielle d’assurances sur la responsabilité, on doit se protéger au cas où nous serions tenus pour responsables.
On parle alors de responsabilité civile, de responsabilité pénale, de responsabilité du chef d’entreprise, de responsabilité sociale/sociétale de l'entreprise (RSE), etc. La responsabilité comme l'obligation de répondre de ses actes, mais aussi de réparer le préjudice causé à autrui.
On a de plus en plus délaissé la responsabilité comme la capacité de prendre de décisions, comme la charge qui incombe à une personne dans le cadre de sa mission ou de son travail, voire de sa famille. Ainsi, le responsable de la famille c'est son chef, le responsable d'une équipe, c'est celui qui est à sa tête et qui prend des décisions en assumant ses responsabilités. Dans les sociétés tribales, on confie les responsabilités à la personne jugée apte à conduire les affaires du groupe. « Responsable mais pas coupable », une vraie dichotomie entre la responsabilité et la culpabilité : Je réponds de mes actes mais je n'ai commis aucune faute, aucun crime.
Deux ans après les élections bâclées en République démocratique du Congo, il nous a semblé nécessaire de poser le problème sous l’angle de la responsabilité. En effet, vouloir aujourd’hui poser ce problème en République démocratique du Congo n’est pas du tout une sinécure, le concept étant bien galvaudé. Ne pas le faire contribue à laisser de côté le principal problème qui gangrène ce pays depuis cinq décennies : celui de la responsabilité politique.
Quand l’on veut tant soit peu, regarder puis analyser le contexte dans lequel ce pays évolue, on se rend vite compte que tout est devenu un problème inextricable. Il est important que nous débattions du politique comme détenteur de la responsabilité, c'est-à-dire de la charge que lui confie la collectivité, d'une part, et de l'autorité que lui confère la loi, d'autre part, pour remplir sa mission dans l'intérêt de tous.
La RDC est de plus en plus minée par la violence et, le désordre s'est bien installé dans la pratique politique. La nation est en péril mais on trouve encore des personnages politiques qui trouvent que tout va bien. Le profit, c'est vrai, peut nous rendre sournois. La pratique de la politique est réduite à la gestion des affaires personnelles et à des intérêts des castes.
Dans une conception purement bantoue, un responsable est une personne qui est garant de quelque chose, c’est-à-dire détenteur d’une autorité reconnue. Quand vous pouvez la question à un bantou : « c’est qui le responsable? », c’est d’abord entendu et compris dans le sens « qui est le chef ? », c’est-à-dire celui qui détient l’autorité. Nonobstant, cette responsabilité est d’abord comprise dans le sens de la nature de sa fonction et du pouvoir qui en résulte, et non pas d’emblée, dans le sens de répondre de ses actes.
Le droit écrit et moderne qui est appliqué en Afrique est celui laissé par le colonisateur et n’a pas tenu compte de la sociologie des sociétés non occidentales. Ce n’est pas pour rien que certains peuples aujourd’hui font tout pour que les règles juridiques qui régissent leur quotidien tirent leur substance de la sève de leur histoire. Après tout, on est mieux servi que par soi-même. Il ne nous appartient pas de dire si c’est bon ou non, mais force est de constater que c’est la conséquence de l’échec d’une transposition qui n’a pas tenu compte des réalités endogènes.
Quel rapport avec la RDC ?
Ce qui vient de se passer en RDC est tout simplement sans précédent. L’organisation et la mise en place d’une machine à trafiquer les élections étaient d’une ampleur telle que même les mal-voyants ont tout vu. Et c’est la raison pour laquelle nous posons aujourd’hui la question de la responsabilité politique.
Il nous semble qu’en RDC les responsables politiques ne mesurent pas la gravité de leurs actes, tout simplement parce qu’ils se sont enfermés dans la logique d’une société préhistorique, celle qui consiste à prendre des décisions parce que l’on est chef et puisque l’on est détenteur du pouvoir, on a des comptes à rendre à personne. Ils feignent d’oublier que jadis, ces groupements préhistoriques n’étaient que de micro, si pas de nano-sociétés. L’universalisme n’était alors qu’une question mineure.
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