Ressources du Congo

L’interminable lutte sournoise ou nsaka zi nkouyou

23 Septembre 2013 , Rédigé par Abraham Itimberi-Aketi Publié dans #Carte blanche à

C’est l’histoire d’une lutte acharnée qui oppose l’homme au diable. Chaque adversaire se bat pour sortir vainqueur de ce duel à l’issue incertaine. Après plusieurs heures d’âpres échanges, le diable réussit à plaquer l’homme à terre et se mit à l’étrangler. L’homme est dans une mauvaise posture et ses forces commencent à le quitter. Il sent venir la fin. L’énergie du désespoir le conduit toutefois à puiser dans ses dernières ressources. Il parvient à se dégager et à son tour, il plaqua le diable à terre et se mit à l’étouffer. Celui-ci s’écria alors : « arrêtez, vous allez me tuer. » L’homme rétorqua : « vous avez voulu me tuer ».

« Bien-sûr que non », renchérit le diable, « c’est un jeu, loin de moi l’idée de vous tuer ». C’est cela le nsaka zi nkouyou (nsaka zi nkuyu en bantou, en langue kiyombe dans le Bas-Congo). Il signifie tout simplement, « le jeu du diable ». C’est une lutte sournoise où la partie émergée reflète à peine ce qui se joue ou se trame dans l’ombre. Dans cette bataille où tous les coups sont permis, les tractations n’ont de sens que si l’on est crédible, comprenez, si l’on dispose des ressources pour imposer et/ou pour s’imposer.

Depuis plusieurs années, la République Démocratique du Congo se trouve dans cette funeste situation « du jeu du diable ». Elle subit une guerre atroce qui continue de faire des centaines, voire des milliers de morts chaque jour. Il y a d’innombrables déplacés, des générations entières d’enfants qui ignorent ce que signifie le mot école, des milliers de jeunes filles et de jeunes garçons dont la vie est à jamais brisée à cause des viols atroces.

Résolution après résolution, indignation après indignation, rapport après rapport, une présence massive des forces de l’Onu… Rien n’y fait. La RDC souffre et les congolais sont dans l’agonie. Le Congo est à terre et le diable est train de l’étouffer. Ce n’est pas un jeu. En effet, le jeu du diable n’est un jeu que quand il est en mauvaise posture. A chaque fois qu’il a l’avantage sur vous, le diable cesse de jouer. Il cherche une seule chose : votre mort. Que vous soyez une personne, une famille, un peuple, une nation.

Que vient faire le nsaka zi nkouyou dans tout ceci ? C’est l’illustration de ce duel infini entre le bien et le mal, entre le faible et le fort. Mais aussi et surtout, entre celui qui sait et celui qui ignore. Le plus fort cherche toujours à imposer sa vérité, à écrire ou à interpréter l’histoire à son avantage.

Il y a quelques mois, Les Fardc (armée de la République démocratique du Congo) ont pour la première fois infligé un vrai camouflet à l’armée rwandaise et à leurs supplétifs du M23. Comme par magie, les communiqués sont sortis de toutes parts : Les USA prennent position contre cette guerre et désignent enfin, ô comble d’injures, l’agresseur. Ils l’enjoignent même de cesser de soutenir les forces rebelles.

C’est cela le jeu du diable, il est à terre, il veut subitement vous faire croire que tout ce qui vous arrive ne serait finalement qu’un jeu. Et le congolais, comme des enfants nouveaux nés, tombent dans le piège. Certains parlent même d’un changement important dans la politique américaine pour la région des grands-lacs.

Quand allons-nous enfin comprendre ? Pourquoi tant d’angélisme béat et idiot ? Le diable dessert un peu l’étau pour nous permettre de souffler et nous voilà en train de jubiler oubliant qui sont derrière tous les malheurs du Congo depuis bientôt six décennies. Nous recevons tous alors des messages par internet, les téléphones n’arrêtent plus de sonner. Les Congolais sont contents, l’Amérique a parlé. On se croirait dans « Tintin au Congo », ces nègres toujours hilares même quand on les traite des sous-hommes.

Notre préoccupation de libérer notre pays est certes légitime, mais nos réactions montrent à quel point nous devons d’abord nous libérer de l’emprise de l’Occident, les USA en tête, sur notre homme intérieur. Nous agissons encore comme des gens qui sont habités par ceux-là mêmes qui sont la cause de nos malheurs. Lumumba devrait se retourner dans sa tombe. Le discours de John Kerry n’était pas un appel à la capitulation, mais un appel à la vigilance.

La question qui se pose à nous n’est plus une question de droit international, ce n’est pas non plus la question de savoir si les Américains pensent ceci ou cela. La question qui se pose aux Congolais est celle de savoir si nous sommes capables de disposer librement de nous-mêmes en tant que peuple. Si la réponse est oui, alors nous sommes capables de décider librement de ce que doit être le Congo de demain sans passer par le cerveau de Washington, de Londres, de Bruxelles ou de Paris. Il y a comme un google dans le cerveau congolais. Il faut s’en débarrasser et vite.

Enfin, l’histoire nous enseigne une chose : aucun peuple ne s’est libéré en allant quémander son secours chez son bourreau supposé. Pour se défaire des Yankees, les Vietcongs ne sont pas allés les supplier. Pour libérer la France, les résistants n’ont pas envoyé une lettre recommandée à Hitler pour lui demander de partir. Pour chasser les nationalistes chinois du Kuomintang et leurs alliés occidentaux, Mao et les révolutionnaires ne sont pas allés ni à Washington, ni à Londres, ni à Paris. Nous sommes encore en train d’être nourris au lait maternel. Hélas !

Pour reconnaître le mensonge, il faut commencer par savoir la vérité, disent les sages. Notre travail aujourd’hui n’est plus de propager tous les ragots, ni de véhiculer la haine bon marché qui ne cesse de tisser sa toile. Beaucoup de Congolais ignorent la vérité sur notre histoire, comment alors identifier nos vrais problèmes ?

« Connais la vérité et la vérité t’affranchira ». Tout commence là. La guerre qu’on nous impose est celle de la connaissance et de l’ignorance. Quand nous comprendrons que les Occidentaux et les USA en tête, consomment quasiment les 2/3 des ressources de notre planète, alors nous comprendrons l’ampleur de notre tâche pour libérer le Congo. Nous possédons presque tout ce qu’ils veulent pour assouvir leur faim insatiable. Le diable n’est pas prêt de lâcher sa proie, qu’importe le démon à son service. Ce n’est pas un jeu.

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