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RDC : la Constitution est morte, vive la parole présidentielle #1/2

5 Septembre 2018 , Rédigé par Abraham Itimbiri-Aketi Publié dans #Echos de la vie quotidienne Congo & Diaspora, #Focus sur le mal Congolais, #Carte blanche à

On y est ! Joseph Kabila a enfin libéré sa parole. Il ne sera pas candidat à un troisième mandat. Depuis, toute la kabilie, en ordre de bataille, est mobilisée sur tous les fronts. Il n’y a pas de petits combats. Pas un jour ne se passe sans qu’un cacique de la majorité présidentielle ne relaye cette lapalissade sur les ondes des radios du monde entier.

Cet affairement soudain révèle en creux les manœuvres dilatoires du pouvoir pour se maintenir coûte que coûte. Car jusqu’ici, les artifices institutionnels ont bien marché, pourquoi alors ne pas continuer. La majorité présidentielle n’a pas peur du changement dans la mesure où elle sait comment le manipuler : un algorithme par-ci, une corruption par-là. Le scénario change mais on garde les mêmes acteurs. La majorité présidentielle a plutôt peur de l’avenir. En effet,  si on peut contrôler et accompagner un changement, l’avenir cependant, personne ne le connaît. Et le saut vers l’inconnu les effraie terriblement.

Pour éviter tout échec qui sonnerait le glas de ce système très rentable pour les notables de la majorité, le front commun pour le Congo (sic), ne ménage pas ses efforts pour occuper tous les espaces. Rien ne doit être laissé au hasard : « le président est un homme de parole… Il a tenu sa parole…. Il l’a dit, il l’a fait … » etc. Des panneaux géants dans la ville de Kinshasa accompagnent cette mise en scène rocambolesque afin de susciter l’intérêt du peuple : les élections auront bien lieu, non par le fait de la loi fondamentale, mais grâce à la parole éclairée du président.

Des professeurs d’université, juristes de tous poils (ils sont légion en RDC), des thuriféraires du PPRD et ceux des partis politiques affidés, toutes les personnalités liges de la kabilie, dont la voix de son maître, Lambert Mende, se meuvent. Une forte agitation pour annoncer au peuple congolais la décision de Kabila. On vend aux congolais l’intégrité de cet homme qui serait, ô comble de la forfaiture, un homme de parole.

Même le président hors mandat du sénat, monsieur Léon Kengo wa Dondo, pourtant juriste éminent, a mouillé sa chemise sur les antennes de RFI en qualifiant son président, lui aussi hors mandat, d’un homme de parole. Au pays de Lumumba, la médiocrité serait devenue la règle et l’intelligence, une exception

"La bêtise insiste toujours", disait Albert Camus.

Insister, se servir des médias officiels en martelant ce mensonge comme une antienne avec pour seul objectif, de persuader la population que le sortant a tenu sa parole. On crée dans notre pays, une doctrine qui donnerait à la parole présidentielle un caractère constitutionnel.

Mais de quoi s’agit-il réellement ? Pourquoi tant d’agitations autour de la supposée décision de l’ex-président de la RDC de ne pas se représenter ? La Constitution disposerait-elle d’un article sur la parole présidentielle ? Que nenni !

 « Article 70 : Le Président de la République est élu au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans renouvelable une seule fois. »

Voilà la vérité. Elle est simple. Il n’est pas question de la parole de Kabila, il s’agit tout simplement de l’application stricto sensu, de l’article 70 susmentionné. Son discours est donc inutile, c’est un non- événement, un épiphénomène au regard de la loi fondamentale. Il ne peut tout simplement pas se représenter. Point, à la ligne. Ce n’est pas, en l’espèce, une décision personnelle prise, semble-t-il, après mûres réflexions et pour, ô comble de la comédie, préserver les intérêts supérieurs de la nation. C’est tout bêtement la victoire de la légalité, acquise d’ailleurs grâce à la vigilance et à la pression populaire.

Un peu de politique fiction

Nous sommes au mois d’avril 2027, après deux mandats consécutifs à l’Élysée, Emmanuel Macron s’adresse aux Français : « mes chers compatriotes, je vous annonce qu’après mûres réflexions, j’ai pris la décision de ne pas me représenter pour un troisième mandat ». Chacun peut aisément imaginer les réactions qui s’en suivront.

L’article 6 de la Constitution française : « Le Président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ».  Personne dans ce contexte, n’imagine un seul instant le besoin d’une parole présidentielle. Pas même dans le bebête show. La Constitution est claire.

Mais Kabila pouvait-il tenir sa parole ?

Quand le président de la république prête serment devant la nation, il devient de facto le garant de la Constitution. Il est tenu par conséquent et par-dessus tout, de veiller à son application en assurant par son arbitrage et son intégrité, le fonctionnement régulier des institutions. Le seul fait d’y faillir peut constituer un commencement de trahison. Or, sur ce point précis et sur bien d’autres d’ailleurs, Kabila n’a pas tenu sa parole, il a renié son serment.

L’article 73 : « Le scrutin pour l’élection du Président de la République est convoqué par la Commission électorale nationale indépendante, quatre-vingt-dix jours avant l’expiration du mandat du Président en exercice ».

Le président n’a pas joué ici son rôle de garant et les raisons évoquées pour les différents reports ne sont pas recevables car elles ne découlent pas d’un cas de force majeure. Aucune fois le président et le parlement n’ont eu recours à l’article 85 de la constitution.

Article 85 : « Lorsque des circonstances graves menacent, d’une manière immédiate, l’indépendance ou l’intégrité du territoire national ou qu’elles provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions, le Président de la République proclame l’état d’urgence ou l’état de siège après concertation avec le Premier ministre et les Présidents des deux Chambres conformément aux articles 144 et 145 de la présente Constitution. Il en informe la nation par un message. Les modalités d’application de l’état d’urgence et de l’état de siège sont déterminées par la loi ».

Combien de jours depuis? Je vous laisse le soin de compter. Les accords de la Saint-Sylvestre étaient donc inutiles. La preuve c’est qu’ils ne les ont pas respectés. Les institutions fonctionnaient normalement lors de la conclusion de ces fameux accords, il fallait tout simplement aller au bout du processus. Le seul but était de gagner du temps.

En réalité, ne pas organiser des élections est tout simplement une pratique courante au Congo dit démocratique. Les sénatoriales, les communales, etc. Les sénateurs congolais sont hors mandat depuis 2012 et cela ne semble déranger personne, surtout pas eux-mêmes. Ils siègent, ils votent les lois. Ils sont payés pendant que la population crève.

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                     RDC : la Constitution est morte, vive la parole présidentielle #2/2

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